Natalité Et Courbe De Vitalité
De la syncrhonie reproductive dans l’espèce humaine

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Étiquette(s) : anthropologie

La baisse de la natalité est une des plus pressantes catastrophes de notre temps. Jusqu’alors personne n’y a trouvé de réponse, mais quelque chose nous a échappé : je vous présente la courbe de vitalité et pourquoi il est essentiel de comprendre ce qu’elle signifie.

Avec 1,40 enfants par femme en moyenne, c’est plus de la moitié de la population européenne qui disparaîtra d’ici 3 générations. Mais, vraisemblablement, ce sera pire – de mémoire historique, aucun pays n’a jamais réussi à infléchir ce déclin. En guise d’exemple, il n’a fallu que 25 ans pour que la Corée du Sud tombe de 1,40 à 0,75 enfants par femme – on table sur une population divisée par deux d’ici 30 ans. Une crise, réelle en l’occurrence, qui fait passer d’autres catastrophes annoncés pour des détails – sur une Terre sans humain il n’y a plus de soucis.

Maintenance des infrastructures et des finances publiques, solitude généralisée, désarroi des femmes qui n’auront pas réussi à devenir mères, excédent d’hommes célibataires (donc enclin à la révolte), involonté d’innover pour un avenir qui ne porte aucune promesse, etc. La société de demain sera un monde tout à fait inédit dans l’histoire de la civilisation humaine.
Mais là où le bât blesse d’autant plus c’est que l’examen de ce problème, d’une complexité inouïe, n’apporte aucune réponse franchement convaincante. Chacun y va de sa théorie plus ou moins bancale : éducation des femmes, impact de la technologie, confort matérielle, mimétisme sociale entre femmes, libération des mœurs, etc. Toutefois aucune certitude ne demeure. C’est en tout cas ce que pensait Stephen J. Shaw, analyste de données britannique, lorsqu’il a bouclé son documentaire « Birthgap » sur le sujet. Pourtant, une dernière observation l’a interloqué : il a découvert l’importance de ce qu’il a surnommé la courbe de vitalité.

Chiffres INSEE. De toute évidence, la légère hausse de la fécondité dans la période 1998-2013 est en large part dûe à l'immigration.
Chiffres INSEE. De toute évidence, la légère hausse de la fécondité dans la période 1998-2013 est en large part dûe à l’immigration.

En principe, lorsqu’on examine l’âge auquel les femmes d’une même génération deviennent mères, on s’attend à une certaine temporalité : un pic logique après les études, vers 22 à 26 ans selon les époques, puis un autre moindre autour des 30 ans, chiffre rond butoir arbitraire. Pourtant il n’en est rien. Cette « courbe de vitalité » a changé progressivement de forme : d’abord un pic mettant en exergue une certaine harmonie sociale dans les périodes prospères, elle s’aplatie avec le temps pour devenir un monticule plat aujourd’hui. Et à mesure qu’elle s’est tassée et que l’écart à la moyenne s’est agrandie, l’âge moyen où les femmes deviennent mères augmentent. Cela sous-entend un lent délitement de la temporalité des mises en couple, comme dirait un éthologue enquêtant sur l’espèce humaine. C’est en quoi l’âge moyen du premier enfant est très révélateur de la fécondité globale d’un groupe : plus il est tard, moins il y a de naissances – pour tous les pays connus, l’équation est implacable. Là où autrefois les premières naissances advenaient autour d’une même phase de vie, aujourd’hui nous sommes désynchronisés.

En d’autres termes : les couples se forment et les familles se créent dans une succession de mouvements individuels sans cohérence globale ; plus rien ne nous relie dans les étapes importantes de nos vies. En un sens, on peut dire que la société libérale moderne a fait fi d’une sorte de synchronie reproductive, c’est-à-dire de ces moments charnières pendant lesquels hommes et femmes disponibles se rencontrent et se courtisent pour poser les jalons de ce qui devient plus tard un foyer productif. Par ce truchement les efforts du groupe sont synchronisés pour s’assurer le plus de succès possible dans la formation des couples – une stratégie sociale présente chez les mammifères, particulièrement chez ceux qui témoignent de structures sociales coopératives complexes, d’impératifs liées à la prédation ou à la saisonnalité de la flore alimentaire. Et il n’est pas délirant de penser que cette synchronie est vitale pour le capital social de certains groupes humains particulièrement monogames (je ne pense pas que Laurent Ozon dirait le contraire). Mais nul besoin d’aller au zoo pour l’apprendre : il suffit de demander à vos parents – en tout cas, les miens doivent leur union au bal du grand village voisin, au sortir du lycée.

Fin des récoltes, fin du lycée ou des études, passage à la vie d’adulte, les fêtes rythmaient les périodes charnières sous l’œil bienveillant des parents. Des rites sociaux dont la principale fonction avérée était d’ordre matrimoniale. Il n’est d’ailleurs pas saugrenu de penser que la force des communautés catholiques en France réside notamment dans ce respect notable d’une certaine temporalité traditionnelle qui pousse les jeunes à se rencontrer à certains moment clés vécus en commun (rallyes, etc.).

Aujourd’hui, nous sommes tous déphasés les uns par rapport aux autres : durée d’études différentes, déménagements, voyages, disponibilité des applications de « rencontre » à tout moment, etc. – il n’y a plus de temporalité partagée et l’hypothèse du lendemain meilleur est toujours privilégiée sur le choix pesant des responsabilités du présent : « on verra plus tard » jusqu’à ce que « plus tard » soit « trop tard ». A quoi bon faire un choix qu’on peut toujours repousser à plus tard, avec quelqu’un d’autre, quelqu’un de « mieux » ? Tout est prétexte potentiel à l’heureuse opportunité, jusqu’à ce qu’elle ne se présente plus.

Conséquence de ce déphasage généralisée, on observe un changement dans les mois de naissance des enfants : depuis le milieu du XXème siècle, les enfants naissent plus tard dans l’année, aujourd’hui à la fin de l’été ou à l’automne plutôt qu’au printemps comme c’était le cas il y a un siècle – un glissement assez nettement inversement corrélé avec le taux de fécondité (r=-0,77 pour la France de 1950 à 2018, chiffres INSEE). Parole de poisson ! Les « fêtes de fin d’année », comme dit la novlangue déracinée, ont sans doute progressivement gagner en importance par opposition aux fêtes locales.

Si vous êtes comme la plupart des gens (entre 85 et 90 %), vous voulez des enfants. Aujourd’hui la machine sociale joue contre vous – n’agissez pas trop tard.


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